Des cent mille offrandes de festin sacré à Guru Rinpoché
Émanation unifiant en elle la sagesse connaissante de notre enseignant sans égal – le
Seigneur des sages –, du parfait bouddha Amitābha ainsi que du Seigneur du monde qu’est le
tout-puissant exalté Avalokiteśvara, le maître Padmasambhava est le second bouddha
d’Oḍḍiyāna loué dans les écritures telles que celle du Filet Magique de Mañjuśrī (1).
Au lever du soleil, le dixième jour du mois et de l’année du singe, il s’est miraculeusement
manifesté au sud-ouest du pays d’Oḍḍiyāna, dans le cœur d’un lotus sur une île du lac Sindhu,
le « lac de lait ». Ayant ainsi pris naissance, il œuvra de manière inconcevable pour le bien des
êtres à Oḍḍiyāna et dans de nombreuses régions (Driza (2), Tagzik (3), Gilgit, Baltistan, Ladakh,
Cachemire, Inde, île de Laṅkā, Drāvida (4), Sumatra, Bengale, Népal, Bouthan, Kāmarūpa (5)
à l’est,Khotan, Chine, etc.).
Puis, à un moment donné, lorsque ses altruistes prières d’aspiration antérieures arrivèrent à
maturité, il accepta l’invitation de Trisong Detsen – le trente-huitième souverain de la dynastie
tibétaine – et, en l’année eau-tigre (762), se rendit au pays des neiges, territoire le plus haut de
notre planète qui a été loué dans les écritures du Victorieux comme étant le champ de conversion
du sublime Avalokiteśvara.
Là, sur les rives du Yarlung Tsangpo, l’abbé, le maître et le roi du Dharma (6) se réunirent à
Drakmar Ombutsel (7). Experts dans les méthodes habiles pour discipliner ceux qui doivent l’être,
ils œuvrèrent si bien à travers les quatre sublimes moyens d’attraction (8) et autres que tous les
humains et non-humains entrèrent dans la sainte Doctrine, par la manière pacifique ou
courroucée.
Samye – l’inconcevable monastère immuable et spontanément établi – fut érigé selon trois
styles (9) et de nombreux enseignements des sūtras et tantras furent traduits après qu’un premier
édit (10) ait été publié pour le roi du Tibet et ses sujets.
L’abbé et le maître mirent tous deux en place une communauté monastique initiée par les
« sept hommes à l’essai » Bienfaits Guru Bumtsok et établirent un collège d’étude et de méditation.
Le maître Padmasambhava se rendit miraculeusement dans le Tibet occidental, oriental et
central. Que ce soit dans les montagnes neigeuses, les rochers ou les lacs, il pratiqua dans tous
les lieux sacrés et les bénit. Afin que les enseignements des sūtras et tantras se diffusent
largement dans le futur et, plus spécialement, afin que la puissance des bénédictions des mantras
secrets ne disparaisse pas, après avoir concentré les instructions essentielles des tantras, il
dissimula en tant que termas d’innombrables trésors spirituels tels que les « cent trésors pour
soutenir la force vitale du roi » (12) ou les « cinq grands trésors de l’Esprit » (13). Il prophétisa alors
qu’ils seraient révélés dans le futur par de nombreux grands êtres de l’école ancienne et des
écoles nouvelles qui apparaîtraient successivement et il transmit ces enseignements à chacun
d’eux par mandat de l’esprit (14) en accompagnant sa prophétie de prières d’aspiration.
Dans les zones rocheuses de Samye Chimphu, de Shotö Tidro et d’ailleurs, il tourna la roue
du Dharma des neuf Véhicules en transmettant notamment à ses disciples fortunés les
enseignements des trois classes de tantras intérieurs tels que le Dzogchen Sangwa Nyingthig (15).
En œuvrant ainsi, la lampe de la sainte Doctrine illumina la terre entière.
Des accomplis des deux types de saṅgha (16) ayant atteint la suprême réalisation, à commencer
par les vingt-cinq disciples, roi et sujets (17), se manifestèrent sans interruption et cette lignée de
transmission mêlant kamas (18) et termas en un seul courant dans les instructions qui font mûrir
et libèrent l’esprit, se développa pendant cinquante ans. C’est sur cette base que le système
philosophique nyingmapa des anciennes traductions émergea et se diffusa au Tibet avec ses
enseignements unissant sūtras et tantras qui embrassent la totalité de la Doctrine du Victorieux.
Qui plus est, sur un plan général, le maître Padmasambhava – le second bouddha d’Oḍḍiyāna
–, œuvre de manière inconcevable pour le bien des êtres dans le milliard de champs du système
cosmique de Sahā (19) et plus spécialement dans toutes les régions du Continent des Jambosiers (20),
avec sa sagesse, son amour et sa capacité. En particulier, il embrasse dans sa compassion (21) les
disciples de notre époque marquée par les cinq dégénérescences rampantes et leur adresse avec
force de profonds souhaits, ce qui a fait dire à Jamgön Mipam Rinpoché, une émanation de
Mañjuśrī manifestée parmi les hommes :
Bien que la dégénérescence s’intensifie comme les ténèbres,
L’activité de Padma, le seigneur des Victorieux, brille comme la lune.
C’est pourquoi les bénédictions du précieux maître d’Oḍḍiyāna pénètrent l’esprit sauvage
des êtres de ces temps dégénérés à la mesure des facteurs afflictifs qui se développent en eux.
Le précieux maître d’Oḍḍiyāna lui-même a dit :
Vous mes disciples qui souhaitez quitter le saṃsāra,
Adressez-moi continûment vos prières avec foi et dévotion.
Sur un ton affligé semblable à celui d’un enfant appelant ses parents au secours
Et mélodieux comme le son mélancolique du luth ou de la flûte,
Priez aux six veilles du jour et de la nuit !
Et il est écrit également dans un terma :
Méditez sur Padmasambhava
Avec un corps à la forme insubstantielle et lumineuse.
Générez alors la fierté de sa grandeur
Et récitez avec ferveur et sans interruption
Le mantra quintessentiel de Thötreng Tsal,
Comme un torrent dévalant des rochers.
Je ne pourrai moi-même faire autrement que de venir.
Lorsque vous dirigerez d’intenses prières
Vers moi, Padma d’Oḍḍiyāna,
Avec le respect né d’une forte dévotion
Et un intense sentiment de ferveur,
J’arriverai devant vous.
Comme le montrent ces mots, c’est avec dévotion que nous devons nous focaliser par
l’esprit, le cœur et les tripes (22) sur le précieux maître d’Oḍḍiyāna, sans nous contenter de
prononcer de simples mots et nous devons mobiliser la foi et la vision pure avec le sentiment
d’être en présence réelle d’un bouddha. Si nous prions avec concentration après avoir récité la
Prière en sept vers et le Bendza Guru (23), les bénédictions nous pénètreront rapidement, les
obstacles liés aux seize formes de peurs telles que celle d’une mort avant l’heure seront
dissipées alors que la longévité et les mérites s’accroîtront. Ultimement, nous rencontrerons le
précieux maître d’Oḍḍiyāna, nous entendrons ses paroles et nous renaîtrons au couchant, en la
Terre pure de félicité (24).
Tels sont certains des bienfaits inconcevables de cette pratique.
En outre, on trouve ceci dans les « Bienfaits du Siddhi (25) » du grand tertön (26) Karma Lingpa
Jadis, dans le glorieux [monastère de] Samye,
La dame Yeshe Tsogyal
Offrit au Seigneur d’Oḍḍiyāna
Le suprême maṇḍala extérieur, intérieur et secret.
Puis, elle se prosterna avec dévotion et s’adressa à lui :
« Dans le futur, les êtres auront l’esprit dispersé.
Incorrigibles, ils auront une vision gravement erronée de la Doctrine.
En particulier, ils seront nombreux à générer une vue fausse des profonds mantras secrets.
En ces temps-là, lorsque le Tibet sera affligé
Par les trois fléaux que sont la maladie, la guerre et la famine,
De nombreux rituels bénéfiques auront beau exister,
L’opportunité de les accomplir ne se présentera pas et les obstacles seront grands.
Les substances et instruments [pour ces rituels] ne pourront être réunis au complet
Et les êtres de ces temps mauvais vivront en désaccord.
[Aussi,] veuillez expliquer tous les bienfaits qu’il y aura
À accomplir, à ce moment-là, la pratique du maître que vous êtes ».Le grand maître répondit :
Pieuse femme, tu as raison.
En vue d’une telle époque future,
J’ai dissimulé de nombreux trésors bénéfiques
Mais à cause [du manque de] mérites des êtres,
Il sera très difficile de réunir les circonstances propices [pour leur révélation].
Cependant, en ce genre d’époque,
Si, dans les lieux sacrés, les grands monastères,
Au sommet des hautes montagnes ou au bord des fleuves,
Sur les sites miraculeux des dieux et des esprits,
Les tantristes préservant leurs samayas,
Les moines et moniales gardant leur discipline,
Les hommes pieux
Et les femmes de qualité
Récitent cent, mille, dix-mille, cent mille, dix millions de fois ou plus encore
Le mantra quintessentiel qu’est le Bendza Guru
Avec l’excellente motivation de l’esprit d’éveil,
Il en découlera d’inconcevable bienfaits.
Maladies, influences nocives, guerres, conflits,
Mauvaises récoltes, famines et manifestations illusoires27 seront pacifiés.
La pluie tombera au moment opportun
Et le pays connaîtra la bonne fortune, la vertu et l’excellence.
Dans cette vie, la suivante ou le bardo (28),On verra en réalité ou, à défaut, dans les expériences spirituelles et les rêves,
Le visage du grand maître d’Oḍḍiyāna
Et on entendra alors ses profondes et mélodieuses paroles.
Plus tard, à Ngayab Palri (29),On intègrera l’assemblée des vidyādharas30 masculins et féminins
Et on y pratiquera les mantras secrets.
On franchira ainsi les Terres et les Voies pour atteindre le plein éveil.
Qui récite cent fois sans interruption
Ce Bendza Guru quintessentiel,Sera apprécié par les autres
Et bénéficiera sans effort de nourritures, richesses et jouissances.
Qui le récite mille ou dix-mille fois
Submergera de sa splendeur les perceptions d’autrui
Et l’énergie des bénédictions ne connaîtra aucune entrave.
Qui le récite cent mille ou dix millions de fois,
Amènera les trois mondes31 sous son contrôle,
Subjuguera avec éclat les trois plans d’existence (32),
Assujettira tous les dieux et esprits, sans exception.
Mènera sans obstacle les quatre activités éveillées33
Et œuvrera de manière inconcevable pour le bien des êtres
En fonction de ses souhaits personnels.
Qui le récite trente millions ou soixante-dix millions de fois
Assujettira les huit classes de dieux et d’esprits
Sans jamais être séparé des bouddhas
Ni dissocié du Seigneur d’Oḍḍiyāna
Et toutes les tâches qu’il leur confiera seront accomplies.
Les meilleurs [pratiquants] réaliseront en cette vie le corps d’arc-en-ciel,
Les pratiquants intermédiaires embrasseront la Claire Lumière au moment de la mort
Et les moins bons se libèreront du saṃsāra dans le bardo.
Comme on le voit dans ces mots, le potentiel des bienfaits de cette pratique est inconcevable
et les décrire serait sans fin.
Cette année, cela fait 1262 ans que Guru Rinpoché est venu au Tibet.
Afin de se souvenir de sa bonté, les centres bouddhistes Centre Culturel Tibétain Dzogchenpa et
Orgyen Rangjung Dorje Ling ont pris la responsabilité d’inviter en France durant trois jours, du 24 au 26 mai
2024, le détenteur des enseignements du monastère nyingmapa de Palyul Lhatse, Lhatse Öntrul
Pema Rigzin pour diriger tout spécialement la cérémonie du Guru Bum Tsok, les cent mille
offrandes de festin sacré à Guru Rinpoché.
Si cette cérémonie est un succès elle sera reconduite et c’est avec le plus grand plaisir que
j’accueillerai ici, en joignant les mains, tous les détenteurs non-partisans de notre tradition
bouddhiste qui vivent dans les différentes régions du monde et qui souhaitent participer à cette
cérémonie.
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Notes
1.‘Byam dpal sgyu ‘phrul drwa wa. Jampel Gyouthrul Drawa.
2. Bri za. Région non identifiée.
3. sTag gzigs. Certains assimilent cette région à la Perse mais cette localisation n’est pas certaine.
4. ‘Gro lding. Région tamoule.
5. Ka ma ru pa. Ancien royaume de l’Assam.
6. mKhan slob chos gsum. Śāntarakṣita, Padmasambhava et Trisong Detsen.
7. Brag dmar ‘om bu tshal. « Le bosquet de tamaris du rocher rouge ». Lieu où se situait le palais du roi Trisong
Detsen, à Samyé.
8.‘Phags pa’i bsdu dngos bzhi. Skt. catuḥ-saṃgraha-vastu. Ces moyens permettent au bodhisattva d’attirer à lui
des êtres pour les guider vers l’Éveil : générosité, paroles agréables, enseignement adapté à chacun et
comportement conforme à la Doctrine.
9. L’architecture du premier étage est de style tibétain, celle du deuxième étage de type chinois et celle du dernier
étage est de style indien.
10. bKa’ gtsigs dang po. Cet édit qui accompagnait une inscription gravée sur un pilier de Samye, avait pour objectif
d’assurer que le Dharma puisse demeurer longtemps au Tibet, sans décliner.
11. Sept jeunes hommes furent sélectionnés pour prendre l’ordination auprès de l’abbé Śāntarakṣita afin de tester si
les Tibétains étaient capables de garder leurs vœux. Ce furent ainsi les premiers moines tibétains.
12. rGyal po’i bla gter brgya.
13. Thugs gter chen po lnga.
14. gTad rgya. Ce terme fait référence au fait que Guru Rinpoché a placé ces enseignements dans la nature de l’esprit
de ses grands disciples pour qu’ils les redécouvrent plus tard sous la forme de termas ou trésors spirituels.
15. rDzogs chen gsang ba snying thig. « Secrète Essence du Cœur de la Grande Perfection ».
16. Celle des moines et moniales aux cheveux rasés et vêtements bordeaux, d’une part, et celle des pratiquants
tantriques aux cheveux longs et habits blancs, d’autre part.
17. rJe ‘bangs nyer lnga.
18. bKa’ ma. La longue lignée de transmission canonique, qui se différencie de la courte lignée des trésors spirituels
(termas).
19. Mi mjed kyi ‘jig rten. « Monde de l’endurance ». Notre système cosmique.
20. ‘Dzam bu gling. Skt. Jambudvīpa. Dans la cosmologie indienne traditionnelle, domaine des êtres humains
localisé au sud de la montagne axiale. Il a la forme d’une omoplate (large au nord et étroit au sud) et porte son
nom du fait qu’il est orné en son centre d’un gigantesque arbre jambosier
21. Litt. « lier à son cœur ».
22. Litt. L’esprit, le cœur et la poitrine.
23. La prière d’invocation de Guru Rinpoché et son mantra.
24. Déwachen (skt Sukhāvatī), la Terre pure du bouddha Amitābha.
25. Sid+d+hi’i phan yon. Le « Siddhi » est une manière de nommer le mantra de Guru Rinpoché.
26. gTer ston. Révélateur de trésors spirituels.
27. Cho ‘phrul. Illusions créées par les dieux et les esprits.
28. État intermédiaire entre deux vies.
29. rNga yab dpal ri. Le « Glorieux mont de Cāmara ». Terre pure de Guru Rinpoché.
30. Rig ‘dzin. « Détenteur de science ». Yogi ou yogini ayant atteint un très haut niveau d’accomplissement sur la
voie tantrique.
31. Khams gsum. Skt. tridhātu / traidhātuka. Mondes du désir, de la forme et du sans-forme.
32. Srid gsum. Dieux dans le ciel, humains sur terre et nāgas sous terre.
33. ‘Phrin las bzhi. Pacification, enrichissement ou accroissement, magnétisation et élimination.